Date d’évaluation par expertise des parts de l’associé qui se retire d’une société civile

Posté le 15 décembre 2022

Les statuts d’une société civile précisent, en cas de retrait d’un associé, que la valeur de rachat de ses parts et les délais de remboursement sont fixés soit par le règlement intérieur, soit par l’assemblée générale statuant sur le retrait et que l’estimation des parts, en cas de contestation, est confiée à un expert, en application de l’article 1843-4 du Code civil. En 1997, un associé se retire de la société ; 6 mois plus tard, l’assemblée générale ratifie ce retrait et fixe le prix unitaire de rachat des parts à 2 285 € ainsi qu’un échéancier de paiement. L’associé, qui conteste la valorisation de ses parts, est remboursé en 4 échéances dont la dernière est versée le 8 janvier 2002. Après l’échec d’une conciliation, un expert est désigné en 2009 en application de l’article 1843-4. Celui-ci dépose son rapport en 2012, fixant la valeur unitaire de la part à 48 546 € au regard des derniers exercices comptables obtenus en 2009 et 2010.

Le rapport de l’expert est annulé. Il résulte des articles 1843-4 et 1869 du Code civil que la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire, en l’absence de dispositions contraires des statuts, doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, auquel il est procédé selon les modalités prévues, le cas échéant, par les statuts, sans préjudice du droit pour l’associé qui conteste cette valeur de la faire déterminer, à la date du remboursement ainsi effectué, par un expert désigné dans les conditions de l’article 1843-4.

Par suite, l’expert avait commis une erreur grossière en se plaçant à la date d’établissement de son rapport en 2012 et non à la date à laquelle la société civile avait, le 28 janvier 2002, remboursé les parts sociales de l’ancien associé à la valeur fixée par l’assemblée.

À noter

L’associé qui se retire d’une société civile a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d’accord amiable, conformément à l’article 1843-4 du Code civil (C. civ. art. 1869, al. 2). L’article 1843-4, qui définit les modalités de recours à une expertise, est muet sur la question de la date à laquelle l’expert doit se placer pour procéder à l’évaluation.

Rappelons que l’estimation de l’expert s’impose aux parties comme au juge, à moins notamment qu’elle soit entachée d’une erreur grossière (Cass. com. 12-6-2007 n° 05-20.290), par exemple sur la date d’évaluation des droits sociaux (Cass. com. 3-5-2012 no 11-12.717 ; Cass. com. 15-1-2013 n° 12-11.666).

La Cour de cassation avait déjà jugé que la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits (Cass. com. 4-5-2010 n° 08-20.693 ; Cass. com. 15-1-2013 précité), c’est-à-dire, en cas de recours à l’expertise, à la date à laquelle l’expert établit son rapport. Pour les sociétés civiles, le fondement de cette règle peut être recherché dans l’article 1860 du Code civil, puisque, selon ce texte, ce n’est qu’une fois que l’associé a été remboursé de ses parts qu’il perd la qualité d’associé.

Mais des dérogations existent. Par exemple, en cas de retrait d’un associé d’une SCP de notaires ou d’huissiers, l’évaluation des parts doit être faite à la date de publication de l’arrêté ministériel acceptant le retrait (Cass. 1e civ. 17-12-2009 n° 08-19.895 ; Cass. 1e civ. 28-10-2010 n° 09-68.135) ou, en cas de décès de l’associé d’une société civile ou d’une société en nom collectif, à la date du décès (C. civ. art. 1870-1 ; C. com. art. L 221-15).

Les statuts peuvent aussi retenir une date de valorisation autre que celle du remboursement (Cass. com. 4-5-2010 précité), ce que confirme ici la Cour de cassation.

Au cas présent, la clause statutaire, relativement complexe, ne fixait pas de date d’évaluation mais une date de remboursement ; il fallait donc considérer que la valeur des parts devait être évaluée à la date à laquelle le retrayant était remboursé de la valeur de ses parts et perdait ainsi sa qualité d’associé. Se posait ici la question de savoir si l’associé pouvait être considéré comme remboursé au jour où il reçoit la valeur fixée par la société selon le mécanisme statutaire de détermination de cette valeur ou, en présence d’une contestation sur la valeur retenue par la société, s’il fallait attendre qu’il reçoive un complet remboursement au vu de la fixation de cette valeur par l’expert désigné, alors que 14 ans environ s’étaient écoulés entre le retrait de l’associé et le dépôt du rapport d’expertise.

Pour la Cour de cassation, l’expert aurait dû ici se placer à la date à laquelle l’associé avait été effectivement et intégralement remboursé de ses parts au prix fixé par la société en application des statuts (date du règlement de la dernière échéance de paiement), ce prix dût-il être, dans un second temps, définitivement fixé par un expert désigné sur le fondement de l’article 1843-4.

La Haute Juridiction relève ici deux erreurs. Celle de l’expert, dont le choix se placer à la date de son rapport aboutissait à une situation factuellement incohérente : l’associé bénéficiait de l’évolution positive de la société sur 14 ans, alors qu’il était demeuré associé un peu moins de 2 ans ; ceci allait au demeurant à l’encontre de la volonté des parties de figer la situation à la date du retrait. Mais aussi l’erreur commise par la cour d’appel, qui avait annulé le rapport en estimant qu’au vu des statuts l’expert aurait dû procéder à l’évaluation à la date de l’assemblée générale qui avait accepté le retrait ; sa décision n’est pas ici censurée, l’annulation du rapport étant en tout état de cause justifiée.

La solution retenue par la Cour de cassation présente l’intérêt de permettre à l’associé de percevoir immédiatement le prix fixé par la société, tout en conservant la protection offerte par le mécanisme de fixation par un expert, s’il est en désaccord avec le résultat auquel est parvenue la société ; pour autant, les parties ne sont pas soumises à l’aléa de la durée des opérations d’expertise. Si, en l’espèce, l’écoulement du temps avait joué en faveur de l’associé, il n’en sera pas toujours ainsi.

Afin de ne pas égarer les experts éventuellement désignés, les rédacteurs de statuts doivent être attentifs à définir une date claire et aisément intelligible pour l’évaluation des droits sociaux en cas de retrait ou d’exclusion d’un associé.

Cass. com. 9-11-2022 n° 20-20.830

© Lefebvre Dalloz

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