De nouvelles précisions sur l’évaluation de l’usufruit à durée fixe de droits sociaux

Posté le 27 juin 2022

Les faits

En juillet 2009, l’associée dirigeante d’une société civile d’exploitation viticole (SCEV) cède l’usufruit des parts qu’elle détient, pour une durée de 10 ou 17 ans selon les parts, à une autre société d’exploitation et de gestion de biens viticoles créée trois ans auparavant avec son époux. L’administration fiscale, considérant que le prix de cession a été volontairement minoré, reconsidère la valeur de l’usufruit temporaire cédé et réintègre la différence constatée dans l’actif net de la société acquéreuse en vue de procéder au rehaussement de ses résultats imposables à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice de la cession.

Faute d’obtenir gain de cause tant en première instance qu’en appel, les contribuables se pourvoient en cassation en se prévalant de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles, qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, dès lors que celles‑ci sont justifiées par la société. Or telle n’a pas été, selon eux, la méthode suivie par le vérificateur. Ce dernier, dont la démarche a été approuvée par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel de Nancy, a en effet évalué l’usufruit des titres cédés non pas à partir du seul montant des distributions prévisionnelles – autrement dit sur la base des flux de trésorerie disponible – mais sur la base d’une assiette élargie à l’intégralité des bénéfices distribuables.

Position du Conseil d’État

Après avoir relevé que, depuis sa création, la totalité des bénéfices de la SCEV a été distribuée et appréhendée par les associés, par perception de numéraire ou inscription au crédit des comptes courants d’associés, le Conseil d’État juge que la méthode alternative d’évaluation de l’usufruit des titres proposée par les requérants, fondée sur le solde actualisé de la trésorerie disponible correspondant à la différence entre l’excédent brut d’exploitation et le besoin en fonds de roulement, les annuités d’autofinancement des investissements et la rémunération des associés, sans justifier des motifs pour lesquels ils entendaient modifier pour l’avenir la pratique antérieure constante de distribution de la totalité des bénéfices comptables, ne permet pas de déterminer le montant des distributions prévisionnelles attendu par l’usufruitier. Les requérants sont déboutés.

Observations

On ne rappellera jamais assez que la cession à une société de l’usufruit de titres d’une autre société exige de celui qui la conçoit une parfaite maîtrise des méthodes d’évaluation de l’usufruit des titres cédés. Le Conseil d’État rappelle que « la valeur vénale des titres d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue » (point 3 du considérant de l’arrêt analysé ; dans le même sens, CE 30‑9‑2019 n° 419855 et 419860). Faute de transactions pertinentes antérieures au fait générateur de l’impôt pouvant servir de référence, cette évaluation peut être déterminée en combinant « plusieurs méthodes alternatives ». Parmi ces méthodes, celle consistant à déterminer directement la valeur de l’usufruit conformément à la méthode d’actualisation des flux de revenus futurs attendus, dite « méthode des DCF », est la plus couramment suivie par les praticiens. Dans l’espèce jugée, le vérificateur avait évalué l’usufruit des titres cédés sur la base de l’actualisation des bénéfices distribuables de la société. À l’analyse, cette approche trouvait sa justification dans la politique de distribution de l’intégralité des bénéfices suivie par les associés au cours des exercices qui avaient précédé la cession ; faute de trésorerie suffisante à la clôture des exercices considérés, les sommes non versées étaient inscrites en compte courant d’associé et avaient ainsi vocation à revenir à terme à l’usufruitier des titres. On perçoit certes bien les approximations d’une telle méthode dont la logique aboutit à actualiser des flux de trésorerie dont on ne peut à l’avance prévoir la date à laquelle ils interviendront ni même s’ils interviendront un jour. Il reste que rien dans les éléments fournis par les contribuables ne permettait de penser que les associés avaient entendu borner la distribution des bénéfices à la trésorerie disponible. Le Conseil d’État approuve logiquement la solution adoptée par la cour administrative d’appel. Cette décision ne remet pas en cause la méthode d’évaluation de l’usufruit sur la base du flux de trésorerie disponible. Celle‑ci demeure admise, et même conseillée, à condition de prendre la précaution d’aménager l’acte de cession des titres en vue d’aligner les mises en distribution sur ces seuls flux.

Source : CE 20‑5‑2022 n° 449385

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