Du double délai pour agir en garantie des vices cachés

Posté le 22 mars 2022

La garantie des vices cachés nourrit la jurisprudence de la Cour de cassation en ce début d’année 2022. Après avoir jugé que l’article 1648, alinéa 1er, du code civil instituait un délai de forclusion (Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670, Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2022. 548 , note Malvina Mille Delattre ; RDI 2022. 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire ), la troisième chambre civile se prononce, dans l’arrêt sous étude, sur le double délai dont dispose un constructeur-acquéreur pour former un recours à l’encontre du vendeur des matériaux sur le fondement de la garantie des vices cachés.

En l’espèce, un maître de l’ouvrage a confié à une entreprise la construction d’un bâtiment à usage agricole. Le constructeur, pour la réalisation des travaux de couverture, a acquis des plaques de fibres-ciment auprès d’un fournisseur, ce dernier les ayant lui-même acquises auprès du fabricant. Le constructeur, assigné par le maître de l’ouvrage en réparation des désordres affectant les plaques de fibres-ciment, a appelé en garantie son vendeur, sur le fondement de l’article 1641 du code civil, ainsi que le fabricant des matériaux, sur le fondement de l’ancien article 1382 du code civil.

La Cour de cassation rappelle tout d’abord que, vis-à-vis du maître de l’ouvrage, les constructeurs peuvent engager leur responsabilité décennale (C. civ., art. 1792-4-1) et leur responsabilité contractuelle pour vices intermédiaires (C. civ., art. 1793-3-4), pendant un délai de dix ans suivant la réception des travaux. Les juges du quai de l’Horloge énoncent, d’une manière plus générale, que « les vices affectant les matériaux ou les éléments d’équipement mis en œuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l’exonérer de la responsabilité qu’il encourt à l’égard du maître de l’ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité ». En d’autres termes, le fait que des vices affectent les matériaux ou les éléments d’équipement mis œuvre pour la réalisation de l’ouvrage ne constitue pas une cause exonératoire de la responsabilité spécifique de plein droit du constructeur, pas plus que de sa responsabilité contractuelle pour faute prouvée (v. déjà, Civ. 3e, 31 mai 1978, n° 76-14.861 P).

Le constructeur, dont la responsabilité est ainsi engagée à l’égard du maître de l’ouvrage, est alors en droit de former une action récursoire à l’encontre du fournisseur des matériaux litigieux, sur le fondement de la garantie des vices cachés. C’est dans ce cadre que la Cour de cassation a été amenée à s’interroger sur les délais dont il dispose pour introduire un tel recours.

Le délai d’action biennal en garantie des vices cachés

L’action fondée sur la garantie des vices cachés doit être introduite dans un délai de deux ans à compter de la découverte, par l’acquéreur, du vice (C. civ., art. 1648, al. 1er). Le législateur a ainsi consacré un point de départ glissant, variant au gré des éléments circonstanciés de chaque espèce, et pour lequel les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation.

S’agissant de l’action principale de l’acquéreur contre son vendeur, certains arrêts fixent le point de départ du délai biennal au jour du dépôt du rapport d’expertise judiciaire (Com. 20 avr. 2017, n° 14-25.768, RTD com. 2017. 418, obs. B. Bouloc ; Civ. 3e, 11 juin 2014, n° 13-11.786, 11 juin 2014, n° 13-11.786, AJDI 2014. 730 ), du second rapport définitif d’expertise (Civ. 3e, 29 janv. 2014, n° 12-23.863), de la transmission d’une note par l’expert judiciaire se prononçant sur la cause et sur la gravité des vices (Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 15-28.981, AJDI 2017. 794 ), et même à compter de l’expertise amiable établissant leur origine et ampleur (Com. 14 juin 2016, n° 14-19.202, RTD com. 2016. 535, obs. B. Bouloc ; Civ. 3e, 17 juin 2009, n° 08-15.503 P, D. 2009. 1760 ; ibid. 2573, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; RDI 2009. 475, obs. O. Tournafond ). Le vendeur d’immeuble se retrouve sévèrement tenu puisqu’il doit garantir l’acquéreur nonobstant l’expiration du délai de dix ans suivant la réception des travaux (Civ. 3e, 17 juin 2009, n° 08-15.503, préc.).

L’arrêt sous commentaire s’intéresse, quant à lui, au point de départ du délai de deux ans en cas d’action récursoire de l’entrepreneur contre son fournisseur. La Cour de cassation considère que « l’entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître de l’ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation ». En d’autres termes, en matière d’action récursoire fondée sur la garantie des vices cachés, la « découverte du vice » constitutive du point de départ du délai biennal s’entend du jour où l’entrepreneur-acquéreur est assigné par le maître de l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’une solution nouvelle (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-24.111, RDI 2019. 163, obs. M. Faure-Abbad ). La solution dégagée par l’arrêt se conçoit dans la mesure où elle pallie la situation dans laquelle le constructeur-acquéreur serait prescrit avant d’avoir été assigné en justice par le maître de l’ouvrage, et avant même d’avoir pu connaître l’existence des vices cachés allégués. Il serait alors privé de tout recours en garantie, ce qui constituerait une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que protégé par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit d’ailleurs de la solution retenue en matière de recours entre coobligés de droit commun (Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915, Dalloz actualité, 10 févr. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 466 , note N. Rias ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau ).

Il convient toutefois de relever que la Cour de cassation, confirmant sur ce point l’arrêt d’appel (Dijon, 10 mars 2020, n° 18/00724, D. 2021. 2017, obs. C. Witz, B. Köhler et F. Limbach ), fait courir le délai de deux ans au jour de l’assignation en référé-expertise du constructeur, le 9 décembre 2014. On peut toutefois objecter que ce n’est que par l’assignation au fond, faisant suite au dépôt du rapport d’expertise judiciaire, que le constructeur, d’une part, a une connaissance parfaite des vices allégués, d’autre part, sait avec certitude que sa responsabilité est recherchée par le maître de l’ouvrage, et, enfin, qu’est formulée à son encontre une demande indemnitaire.

Enfin, l’action récursoire du fournisseur contre le fabricant se prescrit à compter du jour où il a été lui-même assigné en garantie. En l’espèce, il ressort de l’arrêt d’appel que le délai de deux ans régissant le recours, fondé sur la garantie des vices cachés, du fournisseur contre le fabricant auprès duquel il avait acquis les plaques de fibres-ciment, avait commencé à courir au jour où il avait été appelé en garantie par le constructeur, le 22 décembre 2014. La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt d’appel sur ce point en ce que le juge avait relevé ce moyen d’office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Le concours de la prescription en matière commerciale

Un concours d’origine prétorienne

La jurisprudence a enfermé l’action en garantie des vices cachés dans un double délai : l’acquéreur doit agir non seulement dans le délai de deux ans de l’article 1648, alinéa 1er, du code civil, à compter de la découverte du vice, mais encore dans le délai de cinq ans de l’article L. 110-4 du code de commerce. Ce second article constitue le pendant, pour les actions de nature commerciale, de la prescription civile de droit commun de l’article 2224 du code civil. Il s’applique toutes les fois où les obligations sont nées, à l’occasion de leur commerce, entre commerçants et non-commerçants. La combinaison de ces deux textes constitue une pure création prétorienne destinée à limiter la garantie du vendeur dans le temps. L’objectif poursuivi est celui de mettre un terme aux dérives, constatées en pratique, par lesquelles un vendeur se retrouverait condamné, de nombreuses années suivant la vente, à garantir son acquéreur de vices cachés dont il viendrait de découvrir l’existence. Compte tenu de l’origine jurisprudentielle de cette règle, la Cour de cassation, devant laquelle une QPC a été soulevée, a refusé de renvoyer son examen au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, 23 mai 2019, n° 18-23.859, RTD com. 2019. 747, obs. B. Bouloc ).

Ce double délai d’action fait néanmoins l’objet d’un traitement différent selon les chambres de la Cour de cassation.

Selon la première chambre civile et la chambre commerciale, le délai de cinq ans court à compter de la vente initiale (Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438, Dalloz actualité, 26 juin 2018, obs. N. Kilgus ; D. 2018. 2166 , note C. Grimaldi ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; AJ contrat 2018. 377 , obs. D. Mainguy ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier ; 11 mars 2020, n° 19-15.972, RTD com. 2020. 442, obs. B. Bouloc ; Com. 16 janv. 2019, n° 17-21.477, Dalloz actualité, 7 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 124 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2020. 1074, obs. C. Witz et B. Köhler ; AJ contrat 2019. 139, obs. C. Nourissat ; RTD civ. 2019. 294, obs. L. Usunier ; ibid. 358, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2019. 199, obs. B. Bouloc ).

La troisième chambre civile admet un tel concours de la prescription commerciale à compter de la vente, mais, contrairement aux autres chambres, suspend le délai de cinq ans jusqu’au jour où la responsabilité de l’entrepreneur est recherchée par le maître de l’ouvrage (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-24.111, préc.).

La troisième chambre civile entérine, dans l’arrêt commenté, cette analyse. Les juges du quai de l’Horloge considèrent que « sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, le constructeur […] doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale ». Ils en déduisent que « le délai de l’article L. 110-4 I du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage ». En l’espèce, le délai de cinq ans avait été suspendu jusqu’au 9 décembre 2014, date de l’assignation en référé du constructeur-acquéreur par le maître de l’ouvrage, de sorte que son action récursoire, formée contre le vendeur des plaques de fibres-ciment par acte du 22 décembre 2014, n’était pas prescrite. Une réserve peut toutefois être émise en ce que la responsabilité de l’entrepreneur est, véritablement, recherchée par l’assignation au fond – et non par celle en référé-expertise, comme l’a retenu l’arrêt (v. supra).

En définitive, la computation des délais biennal et quinquennal débute à partir de l’assignation du maître de l’ouvrage. La solution dégagée par le présent arrêt a donc pour effet de paralyser le concours de la prescription commerciale avec le délai de deux ans, puisqu’il expirera nécessairement le premier. D’autant plus que le délai biennal, nouvellement qualifié de délai de forclusion (Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670, préc.), ne peut, dès lors, pas être suspendu et bénéficie de causes restreintes d’interruption.

Un concours juridiquement contestable

Le double délai d’action prétorien est juridiquement contestable en ce qu’il ne repose sur aucun fondement juridique et contrevient même, en réalité, à la théorie générale de la prescription extinctive. Tout d’abord, l’article L. 110-4 du code de commerce énonce très clairement que la prescription quinquennale s’applique à toutes les obligations qui ne sont pas « soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ». Il s’agit, dès lors, d’une prescription de droit commun régissant les actions de nature commerciale non soumises à un délai spécial dérogatoire. La prescription quinquennale ne peut donc pas venir jouer cumulativement avec le délai biennal – plus court – de la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, la Cour de cassation fait endosser à la prescription de droit commun en matière commerciale le rôle d’un véritable délai butoir. Or la prescription extinctive et le délai butoir ont une nature juridique diamétralement opposée. La prescription extinctive restreint le temps pendant lequel un créancier peut agir en justice en revendication d’un droit. Le créancier occupe une place centrale dans le mécanisme. Ceci explique que le délai de prescription, par exemple, ne court qu’à compter de la connaissance complète, par la partie qui se prétend lésée, des faits lui permettant d’agir valablement. Le délai butoir, quant à lui, vient assortir le cours d’un autre délai de prescription ou de forclusion d’un terme extinctif. Il enferme l’exercice de l’action en justice dans une limite maximale, sans prendre en compte les évènements survenant pendant son cours. Le délai butoir ne peut jamais faire l’objet d’une suspension de même qu’il ne peut pas être interrompu. La prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce ne répond pas, de toute évidence, à cette définition du délai butoir.

Le point de départ du délai de cinq ans au jour de la vente est également sujet à critiques. Puisque l’article L. 110-4 du code de commerce ne se prononce pas sur le point de départ du délai, les juges auraient dû se référer au point de départ de droit commun retenu par l’article 2224 du code civil. En effet, cet article édicte à la fois un délai de prescription mais encore un point de départ de droit commun. Par conséquent, à admettre le double délai prétorien, le délai de cinq ans ne peut commencer à courir qu’au jour où l’acquéreur prend, ou aurait dû prendre connaissance, des faits lui permettant d’agir en garantie des vices cachés. Or, dans le cadre d’une action récursoire, cette date correspond justement au jour où le constructeur-acquéreur est assigné par le maître de l’ouvrage.

Perspectives d’avenir

La troisième chambre civile a récemment jugé, dans le cadre d’une vente consentie entre non-commerçants, que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne pouvait être assuré, comme en principe pour toute action personnelle ou mobilière, que par l’article 2232 du code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit, soit au jour de la vente (Civ. 3e, 8 déc. 2021, n° 20-21.439, D. 2022. 257 , avis P. Brun ; ibid. 260, note J.-S. Borghetti ; RDI 2022. 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire ; 1er oct. 2020, n° 19-16.986, Dalloz actualité, 20 nov. 2020, obs.A. Renaux ; D. 2020. 2157 , note P.-Y. Gautier ; ibid. 2154, avis P. Brun ; ibid. 2021. 186, point de vue L. Andreu ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ).

L’article 2232 du code civil, en ce qu’il vise indistinctement « la prescription », pourrait venir enfermer aussi bien la prescription de l’article 2224 du code civil que celle de l’article L. 110-4 du code de commerce. Cette solution permettrait d’assurer un équilibre entre les intérêts du vendeur, qui ne saurait être indéfiniment tenu, et ceux de l’acquéreur, qui disposerait d’un temps suffisamment long pour agir à titre principal ou récursoire à son encontre. Réserve étant faite que le délai butoir ne joue qu’à l’égard des ventes conclues postérieurement au 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 le consacrant.

 

Par Nastasia De Andrade

Civ. 3e, 16 févr. 2022, FS-B, n° 20-19.047

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