Illustration d’un apport-rachat de titres constitutif d’abus de droit

Posté le 19 novembre 2021

Quelques explications préliminaires

Un dispositif de sursis d’imposition s’applique automatiquement aux plus-values résultant de certaines opérations d’échanges de titres réalisées à l’occasion, notamment, d’un apport de titres à une société soumise à l’IS (CGI art. 150-0 B).

À noter. Ce dispositif est désormais soumis à la condition que la société ne soit pas contrôlée par l’apporteur. Pour les opérations d’apports réalisées depuis le 14 novembre 2012, il a été remplacé par un mécanisme de report d’imposition de plein droit des plus-values réalisées par les particuliers lors de l’apport de leurs titres à une société soumise à l’IS qu’ils contrôlent (CGI art. 150-0 B ter).

Dans le cadre du sursis, la plus-value d’échange n’est ni constatée ni imposée l’année de l’échange : elle n’est donc pas retenue pour l’établissement de l’IR et des prélèvements sociaux. S’agissant d’une opération intercalaire, la plus-value d’échange n’est prise en compte que lors de la cession ultérieure ou encore le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus en échange.

Mais une opération qui s’est traduite par un sursis d’imposition entre dans le champ d’application de la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L 64 du Livre des procédures fiscales malgré le caractère automatique du sursis d’imposition, dès lors que l’opération d’apport de titres, dont l’intérêt fiscal est de différer l’imposition de la plus-value, a nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû.

 

Les circonstances de l’affaire

En 2009, un contribuable apporte une partie des titres qu’il détient dans un fonds de commerce à une société qu’il contrôle et dont il est le gérant, société ayant pour activité la gestion d’immeubles. Il place les plus-values en résultant sous le régime du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du CGI. Quelques jours après, la société dont les titres ont été apportés :

·        procède au rachat de ses propres titres ;

·        et acquiert successivement une maison à usage d’habitation affectée à l’usage du contribuable, des immeubles de rapport, ainsi qu’un véhicule de tourisme donné en location à la compagne de l’intéressé.

L’administration fiscale remet en cause le sursis d’imposition selon la procédure de répression des abus de droit. Le tribunal administratif confirme et le contribuable se pourvoit en cassation.

La décision du Conseil d’État

En premier lieu, le Conseil d’État rappelle que le législateur a, en adoptant les dispositions de l’article 150-0 B du CGI, entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l’octroi automatique d’un sursis d’imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités :

·        l’opération par laquelle des titres d’une société sont apportés par un contribuable à une société qu’il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l’objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l’objet d’un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société ;

·        en revanche, en l’absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l’imposition de la plus-value, à minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

Or, dans la présente affaire, il a été relevé que le contribuable :

·        détenait 99 % du capital de la société bénéficiaire de l’apport, dont l’unique objet était la gestion du patrimoine immobilier et mobilier de celui-ci ;

·        et qu’il avait ainsi pu disposer des liquidités retirées du rachat des titres apportés et que ces liquidités avaient été utilisées pour l’achat de biens personnels.

Par suite, juge le Conseil d’État, cette opération d’apport suivie du rachat des titres apportés est constitutive d’un abus de droit :

·        le produit retiré par le rachat des titres apportés, n’a pas été réinvesti dans une activité économique ;

·        l’acquisition des biens personnels résulte de l’utilisation des liquidités obtenues dans le cadre du rachat des titres, alors même que cette acquisition a été financée au moyen d’un contrat de prêt, dont il n’est pas contesté que les clauses prévoyaient le remboursement en une seule échéance au terme d’une durée de 4 mois.

À noter :

·        lorsque les titres d’une société sont apportés par un contribuable à plusieurs entreprises qu’il contrôle, le but de chaque opération d’apport doit être apprécié distinctement ;

·        est ainsi sans incidence la circonstance que l’opération, envisagée dans sa globalité, avait pour objectif principal de scinder les actifs de la société apporteuse et de permettre aux associés de cette société de retrouver leur autonomie grâce à la restructuration de leur patrimoine professionnel respectif.

 

CE 9e-10e ch. 5-11-2021 n° 437996

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