Interdiction d’utiliser des néonicotinoïdes dans les semences : la CJUE met fin à la dérogation accordée pour les betteraves

Posté le 15 février 2023

L’article 53 du règlement européen (CE) no 1107/2009 du 21-10-2009 permet aux États membres, dans des circonstances particulières, d’accorder des autorisations dérogatoires n’excédant pas 120 jours de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques (même pour des substances non autorisées au niveau européen) en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.

Lorsqu’un État membre adopte une telle dérogation, il doit alors la notifier à la Commission européenne et aux autres États membres, en fournissant des informations détaillées sur la situation à l’origine de la mesure et sur les dispositions prises pour assurer la sécurité des consommateurs.

Depuis 2018, trois règlements européens (régl. UE 2018/783, 2018/784 et 2018/785) interdisent expressément l’usage de produits phytopharmaceutiques contenant les néonicotinoïdes suivantes : clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride. Ces substances sont en effet suspectées de contribuer au déclin de certaines populations d’insectes, dont les abeilles. Or, ces néonicotinoïdes protègent les betteraves de la jaunisse transmise par les pucerons verts.

En France, l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits est interdite depuis le 1-9-2018 (Loi 2016-1087 du 8-8-2016, JO du 9).

En application de l’article 53 du règlement européen, plusieurs pays membres de l’UE (dont la France et la Belgique) ont adopté des dérogations à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Ainsi, en décembre 2020, après une récolte de betterave ravagée par la jaunisse et en l’absence d’alternatives efficaces pour lutter contre celle-ci, la France a voté une loi autorisant, à titre dérogatoire et jusqu’au 1er juillet 2023, dans les conditions de l’article 53 précité, l’emploi de semences traitées avec des produits contenant des néonicotinoïdes (Loi 2020-1578 du 14-12-2020, JO du 15).

En application de cette loi, deux arrêtés ont été pris pour les campagnes 2020 et 2021 autorisant provisoirement l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des néonicotinoïdes (arrêté AGRG2104041A du 5-2-2021, JO du 6 ; arrêté AGRG2202952A du 31-1-2022, JO du 1-2).

Parallèlement à cette loi, la France a lancé un plan national de recherche et d’innovation (PNRI) afin de sortir définitivement des néonicotinoïdes en 2024. Entièrement dédié au problème de la jaunisse de la betterave sucrière, le PNRI avait pour objectif d’apporter des solutions alternatives déployables à l’échelle de la sole betteravière de 400 000 hectares, et techniquement et économiquement viables à l’horizon de 2024. La France était ainsi engagée dans un programme de 3 ans de recherche d’alternatives aux néonicotinoïdes qui devait s’achever cette année.

Or, dans le cadre d’une affaire concernant les dérogations accordées par la Belgique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de juger que l’article 53 du règlement européen, bien qu’il permette en effet aux États membres de l’Union européenne d’autoriser de façon dérogatoire et temporaire la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques contenant des substances non couvertes par un règlement d’approbation, ne permet pas de déroger aux réglementations de l’UE qui interdisent expressément la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Alors que la France s’apprêtait à prendre pour la campagne 2023, en application de la loi du 14-12-2020, une 3e et dernière dérogation d’utilisation des néonicotinoïdes pour la filière betterave-sucre (projet d’arrêté en cours), l’arrêt de la CJUE a sonné le glas de cette dérogation.

Sur la base de l’analyse juridique de cette décision, le ministre de l’agriculture a en effet indiqué qu’une nouvelle dérogation pour utiliser des semences de betteraves traitées avec des néonicotinoïdes ne sera pas accordée en 2023.

Conscient de l’impact de la décision de la CJUE sur la filière betterave-sucre, il a annoncé la mise en place d’un plan d’actions en soutien à l’ensemble de la filière betterave. Ce plan s’appuiera notamment sur les engagements suivants :

  • de nouveaux « itinéraires techniques » visant à protéger les betteraves, plantées cette année, seront élaborés dès la campagne 2023 ;
  • toutes les solutions immédiatement disponibles issues des projets du PNRI, notamment les plantes compagnes, seront déployées et accélérées à l’horizon des semis 2023, sur le plus de surface possible. Le choix sera laissé aux agriculteurs de déployer ces outils. Le programme de recherche sera également accéléré et les ressources nécessaires à la gestion des projets seront augmentées ;
  • la France s’assurera de l’homogénéité de l’application de la décision de la CJUE au sein de tous les pays de l’Union européenne afin d’éviter toute distorsion préjudiciable à la filière française ;
  • la France va déclencher une clause de sauvegarde auprès de la Commission européenne afin de s’assurer que les semences, betterave et sucre de betterave importés en 2023 ne peuvent pas être traités avec des néonicotinoïdes ;
  • enfin, l’État va mettre en place une aide pour soutenir les planteurs, mobilisable en cas de pertes de rendements liés à la jaunisse.

 

CJUE du 19-1-2023 n° C-162/21 ; Communiqué de presse du ministère de l’agriculture du 23-1-2023

© Lefebvre Dalloz

 

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