La Cour de cassation a validé le barème Macron

Posté le 16 mai 2022

Lorsqu’un salarié est licencié pour une cause non réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si le salarié ou l’employeur refuse cette réintégration, le juge doit accorder au salarié une indemnité qui est versée par l’employeur. Le montant de cette indemnité est compris entre des montants minimaux et maximaux calculés en mois de salaire brut et fixés par un barème d’indemnisation qui tient compte de l’ancienneté du salarié (C. trav. art. L 1235-3 créé par ord. 2017-1387 du 22-9-2017). Le niveau d’indemnisation du salarié est donc strictement encadré puisque l’indemnité versée est soumise à un plancher et à un plafond.

En cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés, le montant de l’indemnité varie de 1 mois de salaire brut pour un salarié sans ancienneté jusqu’à une indemnité comprise entre 3  et 20 mois de salaire brut pour un salarié ayant 30 ans et plus d’ancienneté.

Par deux décisions publiées le 11-5-2022, la Cour de cassation a mis un terme aux résistances de certaines cours d’appel qui écartent l’application du barème d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu à l’article L1235-3 du Code du travail au profit de dispositions directement issues des conventions internationales, susceptibles de permettre une meilleure indemnisation des salariés.

La Cour de cassation a déclaré que le barème d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse est conforme à la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et refuse toute possibilité aux juges du fond d’apprécier si l’application du barème est conforme aux dispositions  des conventions internationales, permettant d’attribuer une indemnisation adéquate au salarié. Le juge français pouvant choisir d’écarter le barème au cas par cas, au motif que son application ne permettrait pas de tenir compte des situations personnelles de chaque salarié, et d’attribuer au salarié l’indemnisation adéquate à laquelle fait référence l’article 10 de la Convention n° 158  de l’OIT (contrôle de conventionnalité in concreto).

Rappel. En 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ce barème d’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de l’article L 1235-3 du Code du travail conforme à la Constitution. Et par deux avis en date du 17-7-2019 (avis nos 15012 et 15013), la Cour de cassation avait jugé ce barème conforme à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié, le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité adéquate au salarié ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Dans un premier litige, une salariée licenciée pour motif économique a obtenu des juges en appel le versement d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 32 000 €. Ils ont écarté l’application du barème d’indemnisation estimant qu’en raison des circonstances particulières de l’espèce, il n’était pas conforme à la Convention n° 158 de l’OIT et qu’il était donc possible de l’écarter dans le cas particulier de la salariée. 

Les juges ont constaté qu’en appliquant le barème, la salariée avait droit à une indemnité pour licenciement injustifié comprise entre 13 211 € et 17 615 € pour son ancienneté inférieure à 4 ans. Ce montant représentait à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières de la salariée et ne permettait pas, compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, âgée de 53 ans à la date de la rupture, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Décision. La Cour de cassation a jugé que :

– les dispositions des articles L 1235-3 et L 1235-3-1 du Code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls (C. trav. art. L 1235-4 : violation d’une liberté fondamentale, licenciement discriminatoire,…), le barème d’indemnisation n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ;
– les dispositions des articles L 1235-3, L 1235-3-1 et L 1235-4 du Code du travail sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ;
– le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse de l’article L 1235-3 du Code du travail, qui tient compte de l’ancienneté du salarié et de son niveau de rémunération, mais dont l’application dépend de la gravité de la faute commise par l’employeur, est compatible avec l’article 10 de la Convention de l’OIT.

En conséquence, le juge doit se contenter d’apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail (Cass. soc. 11-5-2022, n° 21-14490).

La Cour de cassation a jugé que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas à un contrôle de conventionnalité in concreto, car ce contrôle créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges et porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, garanti à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (Cour de cassation, communiqué de presse du 11-5-2022 – Barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse).

Dans le second litige, un salarié licencié pour motif économique a contesté le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 48 000 € qu’il a perçue, estimant que l’article L 1235-3 du Code du travail est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne. Cette disposition prévoit qu’« en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». 

Le salarié faisait valoir que le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail prévoit l’allocation d’une indemnité compensatoire plafonnée ne couvrant pas les pertes financières effectivement subies par le salarié depuis la date du licenciement et n’a pas de véritable effet dissuasif pour l’employeur dans la mesure où l’indemnisation ne peut excéder un montant prédéfini. La compensation octroyée au salarié devient au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi et ne permet pas au salarié licencié sans motif valable d’obtenir réparation adéquate, proportionnée au préjudice subi. Le barème n’est pas de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux et contrevient aux dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Décision. La Cour de cassation devait se prononcer ici pour savoir si l’article L 1235-3 du Code du travail pouvait  faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne et si l’article 24 de la Charte sociale européenne avait un effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Concrètement, les salariés et employeurs peuvent-ils invoquer directement les dispositions de la Charte sociale européenne dans un litige devant le juge français ? Non, a répondu la Cour de cassation. Elle a déclaré que les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail. Il convenait donc d’octroyer  en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par le barème d’indemnisation de l’article L 1235-3 du Code du travail (Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-15247).

La Cour de cassation explique que la Charte sociale européenne réclame des États signataires qu’ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu’elle leur fixe » et que « le contrôle du respect de cette Charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux (CEDS) » (Cour de cassation, communiqué de presse du 11-5-2022 – Barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse).

Sources : Cass. soc. 11-5-2022, nos 21-14490 et 21-15247 et https://www.courdecassation.fr, communiqué de presse du 11-5-2022 – Barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse

© Lefebvre Dalloz

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