Prescription de l’action en responsabilité contre la banque qui n’a pas mis en garde l’emprunteur

Posté le 6 mars 2023

En novembre 2008, un associé d’une société souscrit auprès d’une banque un prêt personnel « dirigeants », en vue d’apporter les fonds en compte courant d’associé à la société, remboursable en une seule échéance le 31 octobre 2010. En garantie, l’associé consent une hypothèque conventionnelle sur un immeuble. Après la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque prononce la déchéance du terme du prêt en 2011 et saisit l’immeuble de l’associé. En 2014, l’associé agit en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. La cour d’appel déclare cette action prescrite car engagée plus de 5 ans après la conclusion du prêt.

La Cour de cassation censure cette décision. Les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ. art. 2224 ; C. com. art. L 110-4). Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. En conséquence, le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face.

À noter

Dans un premier temps, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé que le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde de la banque se manifestait dès l’octroi du crédit, de sorte que la prescription de l’action en responsabilité ouverte à l’emprunteur courait à compter de la date de conclusion du prêt, sauf si l’emprunteur démontrait qu’il avait légitimement ignoré ce dommage à cette date.

Mais en 2019, cette chambre est revenue sur cette jurisprudence : le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt (Cass. com. 13-2-2019 no 17-14.785 FS-PB). La chambre commerciale en a alors déduit les conséquences suivantes :

  • lorsque le manquement concerne un prêt remboursable en une seule échéance (prêt « in fine »), l’emprunteur ne justifie que d’un préjudice éventuel tant que le terme du prêt n’est pas échu, puisque le risque, sur lequel la banque s’est abstenue de le mettre en garde, ne s’est pas réalisé, de sorte que l’emprunteur ne peut pas poursuivre la banque à ce titre (arrêt précité) ;
  • le délai de prescription de l’action en responsabilité contre la banque ne court pas à compter de la conclusion du contrat mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face (Cass. com. 6-3-2019 n° 17-22.668, Cass. com. 22-1-2020 n° 17-20.819, donc, pour un prêt « in fine », au terme de celui-ci (Cass. com. 24-3-2021 n° 19-20.697).

L’arrêt commenté s’inscrit dans la ligne de ces décisions. Mais il n’est pas qu’une simple confirmation de la jurisprudence précitée. Comme l’a souligné l’avocat général dans son avis, l’affaire portait ici sur des faits survenus après la réforme de la prescription, contrairement aux arrêts précités. Or, depuis cette réforme, le Code civil prévoit de manière expresse et générale que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (art. 2224), tandis qu’auparavant le point de départ du délai de prescription était fixé par la jurisprudence (qui retenait, de manière cependant assez similaire, la date de réalisation du dommage ou celle à laquelle il est révélé).

Ce point de départ s’applique aussi à la prescription quinquennale édictée par l’article L 110-4 du Code de commerce en matière commerciale. C’est au visa de ces deux textes que la Cour de cassation s’est ici prononcée, prenant acte des conséquences de la réforme sur la prescription de l’action en responsabilité engagée par l’emprunteur contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.

On peut aussi relever que les arrêts rendus depuis 2019 concernaient tous des prêts remboursables « in fine » dont le remboursement était garanti par le nantissement d’assurances-vie. Dans ce type de montage, c’est au terme du prêt qu’est constatée la possibilité ou l’impossibilité de rembourser celui-ci compte tenu du rendement du contrat d’assurance-vie. Dans l’arrêt de 2023, un tel montage n’était pas en cause, le prêt « in fine » étant garanti par une hypothèque. Bien évidemment, la date d’exigibilité des sommes comme point de départ de la prescription vaut aussi pour d’autres formes de prêt (tel un prêt remboursable selon un échéancier ou une ouverture de crédit en compte courant). La chambre commerciale rapproche ainsi sa jurisprudence de celle de la première chambre civile, qui, statuant à propos de prêts consentis tant avant qu’après après la réforme de la prescription, a jugé que la prescription de l’action en responsabilité court à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un manquement de la banque à son obligation de mise en garde (Cass.  1e civ. 5-1-2022 n° 20-17.325 et 20-18.893).

Cass. com. 25-1-2023 n° 20-12.811 FS-B

© Lefebvre Dalloz

 

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