Quelle prime d’intéressement pour le salarié en congé de reclassement ?

Posté le 27 juillet 2022

Rappel préliminaire

Un congé de reclassement doit être proposé à tout salarié dont le licenciement économique est envisagé, dans les entreprises ou établissements d’au moins 1 000 salariés (C. trav. art. L 1233-71). D’une durée de 4 à 12 mois, voire 24 mois selon les cas, ce congé se déroule à la fois pendant la période de préavis, le salarié percevant alors son salaire habituel, et au-delà de cette période, le salarié touchant alors une rémunération égale à celle du congé de conversion (C. trav. art. L 1233-72).

Lorsque l’entreprise est couverte par un accord d’intéressement, les salariés en congé de reclassement font-ils partie des bénéficiaires et, si oui, comment leur prime est-elle calculée ? Telles sont les questions qui étaient soumises à la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juin 2022.

Une salariée réclame le bénéfice de l’accord d’intéressement pour la période de son congé de reclassement

Une salariée licenciée pour motif économique fin 2016 saisit le conseil de prud’hommes, notamment pour solliciter des dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.

L’entreprise a conclu le 28 juin 2013 un accord d’intéressement prévoyant une répartition à hauteur de 50 % en fonction de la durée de présence dans l’entreprise et à 50 % en fonction de la rémunération brute annuelle perçue au cours de l’exercice de référence.

La salariée estime avoir été privée à tort de ses droits à intéressement pour la période de son congé de reclassement postérieure au préavis.

Précisons que l’article L 3314-5 du Code du travail prévoit que la répartition de l’intéressement entre les bénéficiaires peut être uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l’entreprise au cours de l’exercice ou proportionnelle aux salaires, l’accord pouvant également retenir conjointement ces différents critères.

La cour d’appel déboute la salariée de sa demande, en estimant que, pour la période du congé de reclassement, sa situation ne répondait pas aux conditions d’éligibilité fixées par l’accord.

L’intéressée se pourvoit en cassation en faisant valoir que, le contrat de travail n’étant pas rompu pendant le congé de reclassement, mais seulement à son issue, elle aurait dû bénéficier de l’intéressement qui revêt un caractère collectif et doit concerner tous les salariés de l’entreprise sous réserve d’une condition d’ancienneté qui ne peut excéder 3 mois.

La chambre sociale de la Cour de cassation apporte une réponse en trois temps.

Un salarié en congé de reclassement bénéficie bien de l’intéressement, en principe…

S’agissant du bénéfice de l’intéressement, la Haute Juridiction étend à ce dispositif le principe déjà énoncé à propos de la participation.

En vertu de l’article L 3342-1 du Code du travail relatif au caractère collectif de l’épargne salariale, la chambre sociale a en effet affirmé dans un arrêt de 2018 que les titulaires d’un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l’entreprise jusqu’à l’issue de ce congé en application de l’article L 1233-72 du Code du travail, bénéficient de la participation, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale (Cass. soc. 7-11-2018 no 17-18.936 FS-PB). L’attendu est repris dans l’arrêt du 1er juin 2022, mais élargi au bénéfice de l’intéressement.

Cette extension est logique puisque l’article L 3342-1 du Code du travail fait partie des dispositions communes à tous les dispositifs d’épargne salariale (participation, intéressement, plans d’épargne).

En l’espèce, la salariée était donc bien, par principe, bénéficiaire de l’intéressement. Mais encore fallait-il que les critères de répartition fixés par l’accord lui assurent, concrètement, une prime.

… mais pas au titre de la répartition en fonction du salaire prévue par l’accord…

S’agissant de la répartition de l’intéressement en fonction du salaire, le Code du travail laisse le soin à l’accord de définir la notion de salaire.

L’article R 3314-3 du Code du travail indique que les salaires à prendre en compte au titre des périodes de congés de maternité et d’adoption ainsi que des périodes de suspension consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle sont ceux qu’aurait perçus le bénéficiaire s’il avait été présent. Mais cette reconstitution du salaire n’est pas prévue pour le congé de reclassement.

En l’espèce, l’accord d’entreprise prévoyait la prise en compte du total des sommes perçues par le bénéficiaire au cours de l’exercice considéré répondant aux règles fixées à l’article 231 du CGI relatif à la taxe sur les salaires.

La chambre sociale juge que, l’allocation versée durant le congé de reclassement au-delà du préavis n’étant soumise ni à cotisations sociales ni à la taxe sur les salaires, par application des articles L 1233-72 et L 5123-5 du Code du travail dans leur rédaction applicable au litige, elle n’entrait pas dans l’assiette de la répartition de l’intéressement telle que prévue par l’accord.

À notre avis : Dans sa version applicable au litige, l’article L 1233-72 du Code du travail rendait applicable à l’allocation de reclassement l’article L 5123-5 du même Code relatif à l’allocation de conversion disposant qu’elle n’est soumise ni aux cotisations de sécurité sociale ni à la taxe sur les salaires. Depuis le 1er janvier 2021, le régime social de l’allocation de reclassement est calqué sur celui de l’indemnité légale d’activité partielle, l’article L 1233-72 renvoyant à l’article L 5122-4 du Code du travail. L’allocation reste ainsi exclue de l’assiette de la taxe sur les salaires (C. trav. art. L 5428-1), de sorte que la solution retenue ici par la Cour conserve sa valeur sous l’empire de cette nouvelle rédaction.

… ni au titre de la répartition en fonction de la durée de présence, le congé de reclassement n’étant pas assimilé par la loi à du temps de travail

S’agissant de la durée de présence, l’article L 3314-5 du Code du travail (dans sa rédaction applicable au litige) prévoyait que sont assimilés à du temps de présence les congés maternité et d’adoption ainsi que les absences pour maladie professionnelle ou accident du travail. Ces dispositions légales ne mentionnent pas le congé de reclassement.

Le texte de l’accord d’entreprise sur l’intéressement précisait, quant à lui, que les absences résultant des congés payés, des jours de récupération du temps de travail ou de repos supplémentaires, des congés d’ancienneté, des congés conventionnels, des congés de formation prévus au plan de formation, des congés de formation économique, sociale et syndicale, des heures de délégation, de la maternité, de l’accident du travail et du trajet, et d’une façon générale des périodes légalement ou conventionnellement assimilées au travail effectif n’avaient aucune incidence sur le droit à répartition.

La Haute Juridiction affirme que la période du congé de reclassement n’est pas légalement assimilée à une période de temps de travail effectif. Ce congé n’étant pas non plus assimilé par des stipulations conventionnelles à du temps de présence, c’est à bon droit que la cour d’appel a écarté toute prime d’intéressement calculée sur la période du congé de reclassement au-delà du préavis.

À noter : L’arrêt du 1er juin 2022 pose donc le principe du bénéfice de l’intéressement pour les salariés en congé de reclassement tout en admettant qu’il se puisse se traduire in fine, en fonction des termes de l’accord d’intéressement quant aux critères du salaire et du temps de présence, par une absence de prime.
Une répartition uniforme inscrite dans l’accord d’intéressement garantirait en revanche aux titulaires du congé de reclassement le versement d’une prime strictement égale à celle allouée aux autres salariés de l’entreprise.

Quelle transposition de la solution au dispositif de participation ?

S’agissant de la non-assimilation du congé de reclassement à une période de travail effectif, la solution de l’arrêt du 1er juin 2022 est transposable à la participation car les textes sont similaires. En effet, le congé de reclassement ne fait pas partie des absences assimilées par la loi à du temps de présence au regard de la participation (C. trav. art. L 3324-6), pas plus qu’il ne fait l’objet d’une reconstitution du salaire (C. trav. art. D 3324-11).

La transposition n’est pas possible en revanche s’agissant du salaire servant de base à la répartition. En effet, contrairement au dispositif d’intéressement, celui de la participation prévoit une définition légale du salaire pris en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation et pour la répartition en fonction du salaire : il s’agit des « revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations définie à l’article L 242-1 du CSS » (C. trav. art. D 3324-1 et D 3324-10). Cette formulation renvoie à l’assiette des cotisations sociales, mais peut laisser des doutes sur la prise en compte des sommes exclues de l’assiette ou exonérées. La jurisprudence a indiqué qu’il s’agit des rémunérations désignées par l’article L 242-1 du CSS, qu’elles soient ou non assujetties à des cotisations sociales (Cass. soc. 29-10-2013 no 12-23.866 FS-PB).

 

Source : Cass. soc. 1-6-2022 n° 20-16.404 FS-B

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