Règlement du 20 décembre 2010 sur la loi applicable au divorce : notion de loi qui ne prévoit pas le divorce

Posté le 9 septembre 2020

Le règlement n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps prévoit, par son article 5, que les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu'il s'agisse de l'une des lois suivantes : la loi de l'État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention; ou la loi de l'État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l'un d'eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou la loi de l'État de la nationalité de l'un des époux au moment de la conclusion de la convention; ou la loi du for.

Par son article 8, il précise qu'à défaut de choix conformément à l'article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l'État : de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n'ait pas pris fin plus d'un an avant la saisine de la juridiction et que l'un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut, dont la juridiction est saisie.

L'article 10 ajoute, notamment, que lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce, la loi du for s'applique.

Ce sont précisément sur ces dispositions que la Cour de justice de l'Union européenne s'est penchée dans son arrêt du 16 juillet 2020.

Dans cette affaire, un tribunal roumain a été saisi d'une demande de divorce et s'est déclaré compétent en application du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003. Les époux n'ayant pas choisi la loi applicable, le tribunal a retenu que la loi italienne devait être mise en œuvre en vertu de l'article 8 du règlement du 20 décembre 2010. Or, selon ce tribunal roumain, il résultait de la loi italienne que le divorce ne pouvait pas être prononcé avant une période de séparation de corps des époux, d'une durée de trois ans. Cette loi était donc beaucoup plus restrictive que la loi roumaine, qui ne connait pas l'institution de la séparation de corps.

Il fut alors demandé à la Cour de justice si l'article 10 de ce dernier règlement doit être interprété en ce sens que les termes « lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce » visent uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme ou s'ils incluent également les situations dans lesquelles cette loi admet le divorce, mais le soumet à des conditions considérées, par la juridiction saisie, comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for.

À ce sujet, l'arrêt retient que l'article 10 du règlement doit, en tant que disposition dérogatoire aux articles 5 et 8, faire l'objet d'une interprétation stricte et qu'il n'admet l'application de la loi du for que lorsque la loi applicable « ne prévoit pas le divorce ». Il ajoute que le libellé de l'article 10 est clair et qu'il n'en ressort pas que l'application de la loi du for serait également possible lorsque la loi étrangère applicable prévoit le divorce, mais qu'elle le subordonne au respect de conditions considérées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for (arrêt, pts 23, 25 et 26). De surcroît, la séparation de corps relève, au même titre que le divorce, du champ d'application du règlement (arrêt, pt 29), ainsi que cela résulte des termes mêmes des articles 5 et 8.

Dès lors, par le principe reproduit en tête de ces observations, la Cour de justice retient que l'hypothèse visée par l'article 10 est celle dans laquelle la loi applicable selon ces articles 5 et 8 ne prévoit le divorce sous aucune forme.

Or, la loi italienne, concernée par l'affaire, admet bien la possibilité d'un divorce, de sorte que l'article 10 n'est pas en réalité applicable, peu important que cette loi soumette le divorce au respect de conditions considérées comme étant plus restrictives que celles prévues par la loi du for et tenant au prononcé préalable d'une séparation de corps.

La solution retenue n'est pas surprenante et avait été anticipée par la doctrine (Rép. Dr. intern., Divorce et séparation de corps, par P. Hammje, n° 203).

L'arrêt du 16 juillet 2020 présente également un second aspect.

On sait qu'il appartient à la Cour de justice, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (par ex., CJUE 8 déc. 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, aff. C‑157/10, pt 18 ; 25 juill. 2018, Dyson, aff. C‑632/16, pt 47, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ).

Une difficulté spécifique était en effet apparue : il résultait de la loi italienne applicable que le prononcé du divorce supposait une séparation de corps préalable ; or, le droit roumain ne connaissant pas la séparation de corps, il s'agissait de déterminer comment le juge roumain, qui était compétent, pouvait prononcer un divorce en application du droit italien, alors qu'une procédure de séparation de corps n'existe pas en droit roumain et que les demandes de séparation de corps sont habituellement déclarées irrecevables par la jurisprudence roumaine.

La Cour de justice retient dès lors que dans une telle hypothèse dans laquelle la juridiction compétente considère que la loi étrangère applicable en vertu des dispositions du règlement ne permet de demander un divorce qu'à la condition qu'il ait été précédé d'une séparation de corps d'une durée de trois années, tandis que la loi du for ne prévoit pas de règles de procédure en matière de séparation de corps, cette juridiction doit, à défaut de pouvoir prononcer elle-même une telle séparation, vérifier que les conditions de fond prévues par la loi étrangère applicable sont remplies et le constater dans le cadre de la procédure de divorce dont elle est saisie.

Il faut toutefois reconnaître que cette position, formulée en des termes très généraux, ne sera sans doute guère utile pour les juges du fond saisis du problème, lorsqu'ils devront, concrètement, trancher le litige. On touche ici, il est vrai, à une difficulté fréquente en droit international privé, lorsque l'application, dans le for, de la loi étrangère compétente se heurte, au premier abord, à l'impossibilité juridique de sa mise en œuvre. Si cette difficulté est bien connue sur le plan doctrinal, avec notamment les théories de la substitution et de l'adaptation (sur lesquelles, M.-E. V. Buruiana, L'application de la loi étrangère en droit international privé, thèse Bordeaux, 15 mai 2016, spéc. nos 764 s.), sa résolution pratique est quant à elle toujours délicate.

 

Source : CJUE 16 juill. 2020, aff. C-249/19

© DALLOZ 2020

Ce site internet utilise les cookies pour vous assurer la meilleure navigation possible. Vous pouvez gérer ces derniers, ci-dessous, conformément au RGPD
En savoir plus Gestion des cookies Fermer